Transferts potentiels et risques

Les produits phytosanitaires ne sont pas naturellement présents dans notre environnement. Avec la l’adoption de la loi Labbé en 2017, les usages non professionnels ont été interdits (exemple : gestion des maladies et des ravageurs au potager) mais ces produits peuvent toujours être utilisés en agriculture et pour l’entretien de certains espaces urbanisés (dans le respect de la réglementation actuelle). Les sources potentielles de contamination sont donc nombreuses (voir schéma ci-après) et tous les utilisateurs de ces produits sont susceptibles de contribuer à la pollution de notre environnement.

La plupart des applications, qu’elles soient agricoles ou non, se font sur le sol ou sur les végétaux. Cependant, de nombreux facteurs favorisent la dispersion de ces substances vers les milieux naturels avec des risques de contaminations potentiellement importants pour les espèces aquatiques, animales et végétales.

En plus de toucher la cible visée (adventice, ravageur, champignon…), les substances actives et leurs molécules de dégradation sont donc susceptibles de se retrouver dans les différents compartiments environnementaux : l’air, le sol, les eaux, les sédiments… Elles peuvent alors générer des dangers pour la santé humaine et les écosystèmes avec des impacts à plus ou moins long terme.

Deux types de pollutions sont à l’origine de la contamination des eaux par les produits phytosanitaires : les pollutions ponctuelles et les pollutions diffuses.

Pollutions diffuses

On parle de pollution diffuse pour désigner une contamination chronique du milieu par une substance active phytosanitaire.

Ce type de pollution est causée par l’entraînement des produits épandus et leur accumulation dans un pour plusieurs compartiments environnementaux. Dans ce cas, les mécanismes de transferts, les interactions entre les milieux et les propriétés des substances actives entrent en jeu.

Ces pollutions sont persistantes dans le temps. La maîtrise de ces contaminations nécessite d’intervenir à l’échelle d’un territoire dans sa globalité : elle requiert l’implication de tous les acteurs pour réduire, à plus ou moins long terme, l’impact des produits phytosanitaires sur l’environnement et notamment sur la qualité des eaux.

Pollutions ponctuelles

Une pollution ponctuelle résulte d’un apport important de produits phytosanitaires directement dans le milieu naturel.

Une telle contamination peut être la conséquence d’un déversement accidentel de produit, de pratiques de manipulation des produits phytosanitaires – avant, pendant ou après le traitement – (ex : débordement de la cuve lors du remplissage du pulvérisateur, vidange du fond de cuve non utilisé…) ou encore d’un matériel de pulvérisation non adapté.

Afin d’éviter ce type de contamination, il convient d’appliquer les bonnes pratiques d’utilisation des produits phytosanitaires. Pour rappel, toute personne utilisant des produits phytosanitaires dans le cadre professionnel doit posséder un Certiphyto (certificat individuel professionnel produits phytosanitaires) en cours de validité.

Le devenir des produits phytosanitaires dans l’environnement dépend de différents critères (mode de pulvérisation utilisé, propriétés physico-chimiques des substances actives épandues, caractéristiques du milieu…) et de nombreux mécanismes régissent la circulation de ces molécules dans l’environnement (voir schéma ci-après).

Ces mécanismes sont en constante interaction et vont, à terme, contribuer à l’accumulation des substances actives phytosanitaires et/ou de leurs molécules de dégradation dans les eaux.

Transfert des produits phytosanitaires par mouvement de l’eau

Même si plusieurs mécanismes peuvent entraîner le transfert de molécules phytosanitaires dans le milieu, l’eau constitue le vecteur de transport privilégié. Les mouvements de l’eau se font de façon préférentielle, selon des critères tels que la nature du sol et la topographie :

  • Les transferts par infiltration correspondent à une migration verticale des substances actives, avec l’eau et à travers le sol, pour rejoindre la nappe d’eau souterraine. Ces flux d’eau suggèrent un mouvement rapide des molécules phytosanitaires en solution, sans possibilité de rétention par les particules du sol ou de dégradation. Ainsi, les produits phytosanitaires peuvent atteindre rapidement les couches profondes du sol et, comme ce dernier n’assure plus son rôle de filtre, les risques de pollution des nappes souterraines sont alors accentués. Cette circulation de l’eau et des molécules phytosanitaires est favorisée par la porosité du sol et la pluviométrie (fréquence et intensité).
  • Les transferts par ruissellement résultent quant à eux d’un écoulement horizontal des substances actives phytosanitaires, en solution ou fixées sur les particules fines en suspension, vers les eaux superficielles. Cette circulation de l’eau est essentiellement observable sur des sols saturés (sans possibilité d’infiltration) ou lorsque l’horizon de surface est peu perméable. Le ruissellement est souvent associé à une pente et s’accompagne d’ordinaire d’un phénomène d’érosion des sols.

Pollutions diffuses : les différentes voies de transfert vers les eaux (OIEau)

Dispersion atmosphérique des produits phytosanitaires

Les substances actives phytosanitaires peuvent également être véhiculées en phase gazeuse, directement dans l’atmosphère par l’intermédiaire de mécanismes tels que la dérive (pendant l’application) ou par volatilisation (post-traitement) :

  • La dérive phytosanitaire correspond à la quantité de bouillie exportée en dehors de la zone de pulvérisation, sous forme de fines gouttelettes de produit. Elle dépend de divers facteurs : conditions météorologiques (vent, pluviométrie…), type de culture, vitesse d’avancement du tracteur, matériel de pulvérisation utilisé.
  • La volatilisation résulte du transfert de composés phytosanitaires depuis la surface traitée (sol ou couvert végétal) vers l’atmosphère. Elle intervient suite au traitement et dépend notamment des techniques d’application, des conditions météorologiques, du type de culture mais aussi des pratiques culturales et des propriétés physico-chimiques des molécules et du milieu.

Rétention des produits phytosanitaires dans les sols

En fonction des propriétés physico-chimiques des molécules phytosanitaires et du milieu, les produits seront plus ou moins fixés par le sol, conditionnant ainsi leur mouvement entre les 3 états : solide, liquide et gazeux.

Le coefficient d’adsorption d’une substance active phytosanitaire traduit la facilité qu’aura cette molécule pour se fixer dans le sol. Les teneurs en argile et en matière organique du sol ont un rôle prépondérant dans cette capacité de rétention.

Phénomènes de dégradation

Suite à un traitement phytosanitaire, une partie des produits épandus n’est pas utilisée par la plante et se retrouve dans le milieu naturel.

En fonction de l’activité biologique, des propriétés physico-chimiques des substances actives et de la nature des sols, des réactions peuvent conduire à la transformation, voire à la minéralisation de ces molécules. La biodégradation des produits phytosanitaires dans le sol consiste en la transformation des molécules mères en métabolites, produits de leur dégradation, sous l’action de toutes sortes de micro-organismes (bactéries, champignons…). En phase gazeuse, les molécules phytosanitaires peuvent aussi être dégradées par divers mécanismes tels que la photolyse (ou photo-décomposition). Une fraction des molécules volatilisées et de leurs produits de dégradation pourra alors retourner au sol et dans les eaux superficielles.

Suite à ces dégradations, les métabolites peuvent alors être minéralisés ou véhiculés dans le milieu naturel et engendrer des contaminations des eaux.

Le temps de demi-vie (DT50) d’une substance active fournit une première indication sur la rapidité de dégradation de cette molécule.

Les molécules phytosanitaires, suivant leurs concentrations dans l’eau et leurs caractéristiques chimiques, peuvent avoir un impact plus ou moins important sur les organismes aquatiques et sur la santé (dans le cas d’eau destinée à la consommation humaine).

Impacts sur les organismes aquatiques

L’impact sur les organismes aquatiques (poisson, algues, micro-organismes…) dépend de l’écotoxicité des molécules, de leur concentration dans l’eau et de la durée d’exposition de ces organismes. L’écotoxicité des molécules est principalement mesurée grâce à :

  • La CL50 : concentration létale pour 50% des organismes exposés, en général poissons et quelques invertébrés aquatiques.
  • La CE50 : concentration d’effet pour 50% des organismes exposés, en général algues, daphnies, invertébrés et plantes aquatiques.
  • La CSEO : concentration sans effet observé pour la totalité des organismes exposés. Elle est plus connue sous le terme anglais NOEC.

Impacts sur la santé humaine

Les produits phytosanitaires peuvent être présents dans tous les milieux : l’alimentation et l’eau, l’air, et les sols et les poussières. Ils induisent des effets sur la santé humaine, à court et à long terme.

Effets aigus

Les effets aigus des pesticides sont principalement documentés à partir d’observations réalisées chez les travailleurs exposés et de cas d’intoxication signalés par les centres antipoison et de toxicovigilance.

Ces manifestations immédiates apparaissent généralement à la suite d’une exposition accidentelle ou d’une mauvaise manipulation des produits et elles peuvent se traduire par des symptômes locaux (irritations cutanéo-muqueuses, réactions allergiques cutanées ou oculaires, vomissements, toux, gêne respiratoire…).

Dans les situations les plus graves, les pesticides peuvent provoquer une atteinte systémique touchant divers organes et tout particulièrement le système nerveux, le foie ou encore les reins.

Effets chroniques

Les effets chroniques résultent d’une exposition répétée ou prolongée, possiblement à de faibles doses, sur plusieurs années.

Une expertise collective de l’Inserm dresse un panorama très détaillé des connaissances sur les effets sur la santé des pesticides. Les études épidémiologiques ont notamment mis en évidence des associations entre l’exposition professionnelle aux pesticides et l’augmentation du risque de certaines pathologies cancéreuses, neurologiques ou reproductives. Ainsi, les pesticides pourraient, entre autres, contribuer à la survenue de certaines hémopathies malignes, de tumeurs cérébrales, du cancer de la prostate, de troubles de la fertilité et de la reproduction, de maladie de Parkinson et de l’asthme. La maladie de Parkinson et les hémopathies malignes sont d’ailleurs reconnues, par le régime agricole, comme maladies professionnelles provoquées par les pesticides. 

Des effets perturbateurs endocriniens sont aussi observables pour certains composés dont les mécanismes ne dépendent pas nécessairement de la dose. Les recherches soulignent que les femmes enceintes, les nouveau-nés et les jeunes enfants constituent des groupes particulièrement vulnérables, notamment lors des périodes sensibles du développement (in utero, périnatale et petite enfance). Ces expositions précoces pourraient altérer le développement neurologique ou augmenter le risque de certaines pathologies à long terme.

L’évaluation des effets chroniques demeure complexe du fait de la difficulté à reconstituer l’exposome d’un individu, c’est-à-dire l’ensemble des substances auxquelles il a été exposé tout au long de sa vie et de l’exposition cumulée a différents produits. Malgré ces incertitudes, le consensus scientifique actuel souligne l’existence d’un risque avéré pour certaines expositions professionnelles et un risque plausible pour la population générale, justifiant le renforcement des politiques de prévention, de surveillance et de recherche.

Valeurs réglementaires et de gestion dans l’eau potable

La présence de pesticides dans l’eau n’est pas synonyme de danger immédiat, mais elle représente un enjeu de santé publique de long terme, lié au risque d’exposition chronique. Des seuils réglementaires déterminent les limites de concentration pour les molécules phytosanitaires (y compris les métabolites pertinents) dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) :

  • Pour les eaux brutes destinées à la production d’eau potable : la teneur ne doit pas dépasser 2 µg/L par substance individualisée et 5 µg/L pour le total des substances recherchées ;
  • Au robinet du consommateur : la concentration maximale admissible est de 0,1 μg/L par substance individualisée et de 0,5 μg/L pour le total des substances recherchées ;
  • Les métabolites non pertinents dans les EDCH ne font pas l’objet d’une limite de qualité réglementaire mais sont associés à une valeur indicative de 0,9 μg/L.

A l’exception de 4 molécules (dieldrine, heptachlorépoxyde, heptachlore et aldrine), ces seuils réglementaires de potabilité ne sont pas fondés sur une approche toxicologique et n’ont pas de signification sanitaire réglementaires. Ils constituent cependant un indicateur de la dégradation de la qualité des ressources et visent à réduire la présence de ces composés au plus bas niveau de concentration possible.

L’ANSES a défini, pour certaines molécules, une valeur maximale admissible (Vmax) sur base des valeurs toxicologiques de référence. La Vmax permet, dans certaines situations, d’adapter les mesures de gestion de la qualité de l’eau du robinet.

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